Le bruit urbain

Dans un article intitulé « Le Plateau veut dormir tranquille », La Presse mentionne que les résidents de l’arrondissement en question, et ceux de l’ensemble de la ville de Montréal, en ont assez du vacarme causé par les bars, surtout ceux présentant des spectacles. Un nouveau règlement a été adopté au milieu de l’été et la police peut désormais infliger des amendes dix fois plus sévères que ce qui était le cas auparavant.

En tant que société, je crois qu’il est important de se poser de sérieuses questions quant aux motivations sous-jacentes à un tel règlement et à la volonté politique dont il découle. Nous vivons dans une société vieillissante or, avec la vieillesse vient souvent une certaine intolérance envers des choses comme le bruit, la musique forte, envers cette agitation qui est souvent l’apanage de la jeunesse. À 45 ans, je me retrouve présentement entre deux. Je trouve que le volume est souvent à un niveau inutilement élevé dans les nouvelles salles de cinéma, la puissance de la musique 100% anglo du Centre Bell m’agresse lors des parties du Canadien, même chose pour le contenu musical et le niveau sonore de certaines boutiques de vêtements. Ma réponse, je fréquente ces endroits moins souvent.

Tout de suite, on brandira l’argument qui veut que, la plupart des gens sont confrontés au bruit des bars et des événements parce qu’ils habitent à proximité sans pouvoir y échapper. Une bonne partie de ces gens a choisi délibérément de vivre en milieu urbain, près d’artères commerciales qui sont nécessairement bruyantes. Choisir un milieu de vie n’est pas une décision qu’on prend à la légère. Ces personnes savaient à l’avance où ils s’en allaient. Pour cette même raison, les résidants de la Rive-Sud sont tout à fait en droit de se plaindre des événements au parc Jean-Drapeau et des solutions devraient être envisagées pour régler ce problème particulier.

Revenons maintenant au milieu urbain. Prenons l’exemple de l’Avenue Mont-Royal, au cœur du Plateau. Demeurant à proximité depuis plus de 15 ans, je ne crois pas y avoir constaté une recrudescence des bars et salles de spectacles. En gros, c’est à peu près la même chose depuis que j’y suis arrivé. Pourtant, tout d’un coup, quelqu’un a décidé que c’était trop. Qu’est-ce qui a déclenché ce soudain mouvement d’intolérance? Je n’y vois que le résultat d’une volonté politique qui désire rétablir un certain « ordre moral », et je crois fermement qu’il faut faire attention de ne pas laisser de tels mouvements prendre racine aujourd’hui. Leur aboutissement ultime est incarné par les célèbres « gated communities » aux États-Unis. Restez alertes, bientôt on verra la police commencer à distribuer des contraventions aux skateboarders parce qu’ils représentent « un danger » et qu’en plus, ils sont bruyants…

Le fait que le règlement ait été adopté en plein milieu de l’été, au moment où cette procédure n’est pas susceptible d’attirer l’attention (les jeunes et autres débauchés à la morale douteuse sont plutôt en train de célébrer à cette période de l’année…), est indicatif de la présence d’une volonté politique derrière cette initiative. Des exemples récents démontrent qu’il ne s’agit pas d’une volonté exprimée largement par le simple citoyen, mais bien par une minorité oeuvrant dans les structures municipales, absolument ravie de pouvoir transformer des plaintes ponctuelles en mouvement de masse. Au printemps dernier, un événement de musique électronique a été de facto interrompu à la Société des Arts Technologiques en raison d’une seule plainte sur le bruit formulée par un résidant des environs. On ne parle pas ici d’une banlieue bucolique, mais bien du quadrilatère adjacent à l’intersection Ste-Catherine et St-Laurent!

Bien sûr, il y a des abus du côté des clubs et organisateurs de soirées, mais quand s’attarde-t-on aux abus des plaignards? Qui n’a jamais eu un voisin qui tapait au plafond à tout instant pour se plaindre au moindre bruit? Combien de personnes sont intolérantes face aux cris et au remue-ménage des enfants? Nous en connaissons tous quelques-unes.

Montréal, ville de création?

Nous sommes tous fiers, les élus en premier, de présenter Montréal comme une ville créative et festive, ce n’est pas pour rien qu’on la vend au monde entier comme « Ville des festivals ». Bientôt, on pourra la rebaptiser « Ville des Festivals à faible niveau sonore et pas trop dérangeants ». La créativité de Montréal tient à ses créateurs qui évoluent et se développent pour la plupart dans les espaces où ils ont le moyen d’exercer leur art. On parle ici de lofts, de petits bars à spectacles et autres ateliers hors du circuit des salles officielles. Nous sommes présentement en train de les chasser du milieu urbain au lieu de les encourager à s’y multiplier.

Au niveau même de la Culture, on sent depuis plusieurs années une volonté politique d’investir davantage dans « les grosses constructions » et l’image, que dans la création elle-même. Si on veut véritablement encourager la création, on doit lui donner les moyens et les infrastructures nécessaires tout en s’assurant de le faire à son échelle. Or, presqu’aucun programme n’investit à cette échelle. Si on prend l’exemple du milieu de la musique amplifiée dans son ensemble, peu de lieux correctement aménagés (notamment sur le plan de l’insonorisation et de la ventilation) et dotés des équipements adéquats n’existent pour permettre à la scène émergente de se développer. D’un côté, on investit des centaines de millions dans le relatif maquillage qu’est le Quartier des Spectacles et dans une salle symphonique pas absolument nécessaire, le tout pour épater la galerie et faire le coq devant ses voisins. De l’autre côté, peu d’argent est disponible pour permettre l’aménagement de petits et moyens lieux de diffusion bien équipés et bien insonorisés.

L’OSM interprète, avec un niveau remarquable, des œuvres pour la plupart créées lors des siècles précédents (bonjour la créativité!) pour un public dont la proportion réelle au sein de notre société est aussi réduite que celle des scènes pop émergentes. Alors que ces dernières reçoivent un appui famélique de la part des gouvernements, Loto-Québec (ne vous y trompez, c’est aussi de l’argent public) annonce quelque chose comme 8 à 10 millions par année pour soutenir l’OSM et ceci, en surplus à la construction de sa nouvelle salle. Trouvez l’erreur. Elle réside essentiellement dans une volonté politique mal orientée qui risque de faire de Montréal une ville ennuyeuse et morte sur le plan artistique, à plus ou moins brève échéance.

Paul Gilbert
Vieux en devenir

surplus à la construction de sa nouvelle salle. Trouvez l’erreur. Elle réside essentiellement dans une volonté politique mal orientée qui risque de faire de Montréal une ville ennuyeuse et morte sur le plan artistique, à plus ou moins brève échéance.

Paul Gilbert
Vieux en devenir